samedi 3 juin 2017

Le charme de la France en automobile

Edith Wharton (1862-1937) traverse, en 1906 et 1907, une bonne partie de la France. Trois excursions automobiles avec une certaine fraîcheur. Car, écrit-elle en ouvrant ces récits pour la première fois traduits en français il y a moins de deux ans et aujourd’hui réédités au format de poche : « L’automobile a restauré le romantisme du voyage. » L’ère de la malle-poste s’était achevée avec l’extension du chemin de fer, mais il fallait se plier aux horaires des trains et souffrir, à l’entrée des villes, « des zones de laideur et de désolation créées par la voie ferrée elle-même ». Tandis que l’arrivée en voiture échappe à cette pollution visuelle. Et puis, « bien que certaines personnes semblent en douter, il est très possible d’arrêter le moteur et de sortir de l’auto », ce dont Edith Wharton ne se prive pas, particulièrement quand elle longe la Loire.
Il ne s’agit cependant pas, entre Boulogne et Amiens, de Paris à Poitiers ou dans le Nord-Est, d’une balade paresseuse. Pas un monument n’échappe à l’œil de la romancière américaine qui en note qualités et défauts sans se priver de comparer les traces du passé à son pays d’origine « où le plus récent immeuble de bureaux et le dernier silo à grains sont les seuls monuments qui reçoivent l’hommage de l’architecture environnante. »
Elle aime, d’ailleurs, que les bâtiments soient marqués par le temps. Elle est étonnée par l’église de Brou qui semble neuve. Plus qu’étonnée, déçue : le monument a « l’aspect d’un jouet de celluloïd ». Elle supporte aussi mal les lieux « muséifiés », où l’on n’entre qu’après avoir acheté un billet « à une ouvreuse aux tresses dorées ».
Le pire étant, à ses yeux, une ville comme Lourdes, du moins la partie devenue une « vaste mer de vulgarité », une entreprise florissante montée autour des apparitions : « ville de la Basilique, des Rosaires, de la Grotte, un entassement de pensions et de pieux hôtels, de baraques de colporteurs et de panoramas, où le Grand Hôtel du Casino et du Palais jouxte la Pension de la Première Apparition, et la Vierge de Lourdes ceinte de bleu attire l’attention sur la lumière électrique et le déjeuner par petites tables à l’intérieur. »
Edith Wharton a probablement emporté un guide Joanne, l’ancêtre du Guide bleu, qu’elle cite et qui l’aide à se fixer des étapes. Mais elle est surtout une femme qui se forge sa propre opinion et ne se laisse guère influencer. Elle regarde ces livres avec circonspection et s’inquiète d’ailleurs à propos de la toile de David qu’elle voit à Rouen : « On tremble à l’idée qu’un jour elle puisse cesser de briller de ses propres demi-teintes, et qu’elle devienne un objet étoilé par le Baedeker… »
En revanche, elle ne parle pas du guide Michelin, qui avait fait son apparition en 1900, relève Julian Barnes dans une préface éclairante. Car, à lire Edith Wharton, on pourrait croire qu’elle a accompli seule ces trajets en France. Il n’est pas indifférent d’apprendre, grâce au préfacier, qu’il s’agissait de véritables expéditions, accompagnées de personnel et de bagages qui voyageaient séparément. On les retrouvait à l’hôtel. Un hôtel souvent trop coûteux pour un compagnon des deux derniers périples, Henry James, que sa compatriote ne cite pas une seule fois. Tandis que Julian Barnes, puisant dans la correspondance de James, fournit les détails sans lesquels La France en automobile resterait un voyage assez désincarné.

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