mercredi 16 août 2017

Il y a lavage de cerveau et lavage de cerveau

Trois prénoms pour un titre de roman : Mercy, Mary, Patty. Lola Lafon est moins explicite que la dernière fois (La petite communiste qui ne souriait jamais), d’autant que seul le troisième prénom, à condition d’expliquer un peu, évoquera quelque chose au lecteur moyennement informé : Patricia, dite Patty et qui veut ensuite devenir Tania, est la petite-fille du richissime patron de presse américain William Randolph Hearst. En 1974, la descendante est enlevée par un groupe de révolutionnaires dont, en six semaines, elle adopte si bien les idées qu’elle braque une banque avec eux. Dans les messages qu’elle envoie à sa famille et au monde, pendant la période où elle est cachée par ce groupe d’abord, avec ce groupe ensuite, elle bascule très vite d’un rôle d’intermédiaire chargée de communiquer les revendications à celui de militante – d’une belle cause, d’ailleurs : davantage d’égalité, nourriture, enseignement et soins pour tout le monde. Assez pour ébranler une société qui repose sur la hiérarchie des richesses et des possibilités…
La question qui fut posée à cette époque, et qui l’est à nouveau dans le roman, est aussi simple que la réponse est complexe : si elle ne rédige pas ses messages sous la contrainte, Patricia Hearst a-t-elle subi un lavage de cerveau ou s’est-elle elle-même convaincue qu’il est nécessaire de faire la révolution ?
Son procès, après qu’elle a été libérée et que le reste du groupe a été abattu, s’articule sur cette question. A laquelle la famille Hearst a décidé qu’il y avait une seule réponse : lavage de cerveau, donc irresponsabilité. Pour faire pencher la balance de la justice de ce côté, une universitaire atypique, Gene Neveva, à ce moment professeure invitée dans les Landes, est chargée de rédiger un rapport allant dans ce sens. Elle ne devrait éprouver aucune difficulté à comprendre ce qui s’est passé puisqu’elle est indésirable dans de nombreux établissements en raison de ses idées gauchistes et féministes. L’horreur, en somme… mais que les Hearst ont décidé d’utiliser.
Gene Neveva engage une assistante française, assez jeune pour porter un regard neutre sur les faits : Violaine, puisqu’elle a dit s’appeler ainsi (en réalité, elle s’appelle Violette), n’a même aucun avis sur les événements de mai 68. Chargée de résumer les pièces du dossier, d’en extraire tout le sens, elle finit par jouer un rôle plus important que prévu dans le travail de l’Américaine – celle-ci ne songera pourtant pas à la remercier.
C’est Violaine que la narratrice rencontre et qui la met sur la piste d’un livre écrit par Gene Neveva : Mercy Mary Patty. Voilà les deux autres prénoms. Celui de Mercy Short, celui de Mary Jemison. « Celles qui ont déserté leur famille d’origine, qui leur ont préféré les Amérindiens. À qui on a envoyé l’armée et les prêtres. Qu’elles s’en expliquent et se repentent publiquement. Mais de quoi ? » Mercy et Mary ont vécu, comme Patty, il y a beaucoup plus longtemps, un enlèvement après lequel elles ont profondément changé.
Pourquoi ? Il y a bien eu lavage de cerveau, mais pas par les ravisseurs, explique entre les lignes Gene Neveva. C’est la société dans laquelle elles vivaient qui leur a déformé l’esprit en le pliant à ses normes, et la captivité devenue choix leur a rendu tout ce qu’elles étaient vraiment. Comme Patty Hearst ?
Tremblez, bonnes gens, toutes vos certitudes font face à un tremblement de terre dans un roman à la construction complexe et aux interrogations fondamentales.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire