mardi 22 août 2017

Orsenna à l’école buissonnière de La Fontaine

Erik Orsenna a un peu honte, écrit-il, d’être académicien « donc cofabricant de dictionnaire » et de n’avoir appris que récemment le mot « gentilé », « qui désigne l’habitant d’une ville » (ou d’un village, d’un pays, d’un continent, voire même d’un quartier, cher Erik – il faut fréquenter davantage Alain Rey, ou regarder Des chiffres et des lettres). Bref, le gentilé de Château-Thierry est Castelthéodoricien. « On imagine le rire du fabuliste ainsi lourdement affublé », ajoute-t-il, puisqu’il écrit cela dans son La Fontaine, une école buissonnière, et que, comme chacun le sait, Jean de La Fontaine est né à Château-Thierry.
Du coup, se réjouissant d’avoir découvert un mot qui sonne clair, il le replace dès qu’il en a l’occasion. Voici les Castelthéodoriciens qui racontent le duel de principe entre La Fontaine et son ami André Poignant, qui est le cousin, le confident et l’amant de sa femme Marie, ce dont tout le monde semble s’accommoder fort bien. Voici « notre Castelthéodoricien » qui pratique la flatterie comme Orsenna lui-même, autrefois – « aux temps mitterrandiens où j’étais courtisan ». On n’oublie pas la famille castelthéodoricienne de La Fontaine, dont il faut de temps à autre aller voir ce qu’elle devient pendant qu’il écrit ses Contes ou ses Fables. Quatre occurrences d’un mot qu’on n’a guère, sauf peut-être, et encore, à Château-Thierry, l’occasion de placer dans la conversation. Bien joué !
Le plaisir d’un mot, le plaisir de vagabonder, mais à toute allure, dans une biographie d’écrivain, le plaisir de le citer et de faire découvrir des textes moins connus autant que de rappeler des mélodies verbales rangées dans un coin du cerveau, plaisir, plaisir, seul aux commandes d’un livre qui ne se pousse pas du col. L’anecdote y est puisée aux XVIIe et XXe siècles avec des rapprochements inattendus, car si l’on vivait autrement à l’époque de La Fontaine, le cœur des hommes (et des femmes) n’a guère changé.
Ce qui reste, en particulier, c’est le désir, que La Fontaine ne se privait, pas plus que Marie, de combler. Ce qui change, c’est la condition des écrivains, même si tous ne sont pas, aujourd’hui, aussi heureux en affaires qu’Orsenna, dont les livres se vendent bien, merci pour lui. Mais quand bien même les Fables et les Contes, qu’il fallut, ceux-ci, renier parce qu’ils étaient trop lestes pour le climat religieux, auraient été de grands succès, qu’ils n’auraient pas permis à La Fontaine d’en vivre. D’ailleurs, le succès était là, au moins pour les Fables, mais il « n’engraissa que les deux libraires » qui les ont fait paraître. Les droits d’auteur n’existaient pas, il faudra attendre Beaumarchais et le siècle suivant pour les inventer. Et La Fontaine, quand il prend parti pour son ami Fouquet contre Colbert qui veut la chute de celui-ci, et qui par ailleurs tient les cordons de nombreuses bourses dont le contenu aurait pu soulager le quotidien du poète, oublie la flatterie pour l’honnêteté. Ce qui coûte cher. Il est hébergé par une amie, qui meurt. Il est à la rue… Imagine-t-on cela d’un homme dont les vers nous sont si familiers ?
Encore dit-on souvent, sans savoir, que La Fontaine s’est contenté de piller ceux qui, avant lui, avaient écrit des fables. Le plagiaire est plutôt celui qui, répétant assez bêtement cette idée reçue, devient calomniateur : La Fontaine payait ses dettes, celles-là au moins, puisqu’il restituait la paternité de son inspiration aux écrivains chez qui il l’avait trouvée. Et puis, surtout, il écrivait, avec la force qu’on lui connaît, avec l’art de plaire et de convaincre à la fois, comme de nombreux exemples le rappellent, s’il en était besoin.

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