dimanche 18 mars 2018

Julian Barnes, Chostakovitch et l’idéologie


Un roman biographique ne prétend ni à l’exhaustivité ni à l’objectivité. Julian Barnes, en s’emparant de Chostakovitch comme personnage dans Le fracas du temps, ne cherche pas à raconter toute la vie du compositeur, pas davantage qu’à s’extraire des questions sur lesquelles il avait envie de s’attarder, de préférence à d’autres, au risque accepté de privilégier une seule face de son principal sujet. Les amateurs de faits avérés se reporteront aux pistes fournies par la note finale. Celle-ci montrant aussi, au passage, les limites que l’écrivain a fixées à sa liberté.
La clé du livre pourrait être, avec les premières pages, le dicton russe placé en épigraphe : « Un pour entendre / Un pour se souvenir / Et un pour boire ». Il faut être trois pour boire la vodka, selon la tradition, et le troisième, qui se joint sur un quai de gare à deux passagers, est un homme-tronc mendiant à l’arrêt du train. Le moment est bref, celui qui entendait est déjà dans l’oubli, celui qui se souvenait « n’en était qu’au début de sa remémoration. »
Voici donc l’homme plutôt que le musicien, mais jamais dissocié de son travail qui joue un rôle essentiel dans son statut social et les prises de position que le pouvoir le contraint à assumer. Sous Staline, c’est-à-dire dans ce qui deviendra plus tard l’époque honnie du culte de la personnalité, la musique doit être ce qu’attend le peuple, ou plus exactement ce que les dirigeants veulent que le peuple attende, culture manipulée par une idéologie à laquelle Chostakovitch se plie avec difficulté.
Mais se plie. Car le courage n’est pas sa principale qualité, il sait que les dangers sont réels : l’interdiction d’une œuvre précède l’arrestation, l’interrogatoire est suivi d’une disparition. Joué en Occident, Chostakovitch accepte malgré lui de représenter le régime à l’étranger. Il signe des articles qu’il n’a pas écrits, lit des discours qu’il découvre au moment de les prononcer. Il renonce à toute résistance.
Mais il survit, et les siens avec lui. A qui l’art appartient-il ? Staline et les siens avaient la réponse. Pas Chostakovitch, sinon peut-être : à ceux qui l’aiment.

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