jeudi 10 mai 2018

Pierre Ducrozet et le peintre Basquiat (entretien)

Le troisième roman de Pierre Ducrozet porte le titre d’un tableau de Jean-Michel Basquiat, le peintre américain mort en 1988 à 27 ans – comme une rock star. Eroica, le livre, est inspiré par la vie d’un créateur à la trajectoire éblouissante, qui a brûlé sa vie et son talent avec une folle dépense d’énergie, payant en fin de parcours un prix auquel les collectionneurs n’auraient pas estimé ses œuvres. On connaît l’issue, tragique. C’est pourtant l’extrême vitalité de l’homme qui transparaît à travers des pages que l’écrivain a mise au diapason de son personnage.
Comment en êtes-vous arrivé à Basquiat ?
Dans mes deux premiers livres, je ne m’étais pas posé la question du sujet et là, je me suis dit que cela m’aiderait de prendre appui sur une matière réelle pour ensuite décoller vers la fiction. J’admire et l’aime l’œuvre de Basquiat, ainsi que la personne. C’était déjà un personnage romanesque : il est complexe, il est contradictoire, parfois il est génial, parfois il est agaçant, il est d’une grande innocence et en même temps d’une grande ambition, d’une grande lucidité. Ensuite, l’idée qui préside au livre, c’est de laisser l’écriture se faire contaminer par la peinture, et voir ce que ça peut donner : un puzzle à la fois éclaté et, j’espère, composé. Jusqu’à présent, c’était surtout la musique qui m’avait influencé et elle reste importante. Mais je voulais voir ce que la peinture pouvait faire à mon écriture. A la fin, je me suis rendu compte aussi que je voulais sans doute, inconsciemment, prendre un peu de l’énergie de Basquiat.
L’écriture du roman paraît être à la fois fulgurante et perforante. Ces deux mots vous semblent-ils adaptés ?
Si c’est ça, c’est que ça a fonctionné. Il fallait que ce soit fulgurant comme il l’était dans sa peinture et dans sa vie. Perforant, c’est intéressant, parce qu’il y a l’idée d’ouvrir la peau, d’ouvrir le corps, qu’on retrouve souvent chez lui. Il sent que son corps ne tient pas complètement et il essaie de recoller les morceaux. Il y a toujours des morceaux d’os qui se baladent dans ses toiles.
Par ailleurs, c’est un peintre qui intègre les mots à ses tableaux. De quoi séduire un écrivain ?
En fait, il est aussi musicien et écrivain. Il commence en taguant des mots, comme un poète. Et toutes les toiles sont marquées de mots captés ici ou là, à la télé, dans des conversations. Pour moi, c’est le peintre Internet avant l’heure : il met tout en réseau. Ça peut être Vasco de Gama parce qu’il a ouvert un livre, et il le met en relation avec le pétrole, avec le maxillaire, avec tous les éléments du réel. C’est la définition de la modernité, de notre monde, et il est le premier, dans l’histoire de la peinture, à faire entrer le réel de plein fouet dans la toile.
Ce réel est envahissant jusqu’à devenir douloureux. Vous le montrez submergé par tout ce qui se passe autour de lui…
Il est extra-voyant, il entend tout, je dis qu’il est un chaman. C’est presque impossible à vivre et la drogue lui sert à se déconnecter, ou plus exactement à mettre une couche entre lui et le réel, ce qui permet de le rendre supportable.
En parlant de sa vie, vous intégrez de nombreux personnages, en particulier Andy Warhol. C’était essentiel ?
J’ai passé beaucoup de temps sur Warhol parce qu’il me fascinait et que je voulais faire entendre sa petite voix. Leur histoire est très belle et très importante pour les deux. Ils parlent beaucoup, jusqu’au moment où Basquiat pense que Warhol est en train de le vampiriser, ce qui n’était pas forcément le cas. Warhol mourra sans qu’ils se soient réconciliés, et Basquiat en est inconsolable.

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